Laïcité – Deux visions juridiques s’opposent

Le 19 novembre dernier, Connexion-U a diffusé une entrevue avec Me François Côté et Mandana Javan afin d’éclairer le public sur la loi sur la laïcité, souvent mal comprise. La confusion provient des divergences entre la manière dont le Québec et le Canada conçoivent le droit et le vivre-ensemble.

La laïcité et la neutralité de l’État

Rappelons qu’il n’existe pas de laïcité en dehors de l’État. Un État laïc garantit la neutralité religieuse, ce qui signifie qu’il ne favorise ni ne discrimine aucune religion. Cela n’a aucune incidence sur ce qui se passe dans l’espace public, mais seulement sur les actions de l’État.

Le processus de laïcisation de l’État québécois a débuté dans les années 1960. La laïcité a été instaurée dans les hôpitaux pour éviter qu’une seule religion, en l’occurrence le catholicisme, ne devienne la norme sur le bien et le mal. Depuis, cette laïcité assure la neutralité de l’État dans nos institutions du secteur de la santé. En revanche, la séparation de l’Église et de l’État dans les écoles n’a pas été totalement achevée.

Un processus inachevé : l’éducation

En raison de la présence d’une minorité anglophone, le gouvernement du Québec a opté en 1997 pour l’implantation de commissions scolaires linguistiques plutôt que de procéder à une déconfessionnalisation. L’influent sociologue Guy Rocher a plaidé achever le processus de neutralité de l’État. La loi 21 apparaît ainsi comme une étape logique dans l’évolution de la société québécoise vers sa laïcité complète.

Un débat sur la conception de la laïcité

Le cadre de référence anglosaxon est aux antipodes de la culture québécoise du vivre-ensemble. Ce n’est pas une simple question d’apparence religieuse ni d’empêcher quelqu’un de travailler en raison de sa pratique de signe ostentatoire ; la loi sur la laïcité de l’État pose un cadre de référence différent de la tradition juridique canadienne. Et nous devons le comprendre pour sortir de la confusion sur ce qu’est la laïcité de l’État.

De plus, le Canada a l’obligation d’accepter les particularités de ses provinces. C’est la souveraineté parlementaire. Or, en s’attaquant à la tradition juridique du Québec à travers la loi sur la laïcité de l’État (loi 21), le gouvernement du Canada conteste sa souveraineté parlementaire, un mécanisme disponible pour toutes les provinces.

Cette dérogation (souveraineté parlementaire) permet à une province de soustraire une loi du contrôle des tribunaux fédéraux, et le Québec l’utilise pour la 117e fois. Or, le gouvernement fédéral a décidé de remettre en question ce droit historique aux provinces, ce droit pour le Québec de retirer « la loi sur la laïcité de l’État de la faculté d’être contrôlée et invalidée par des tribunaux au nom de la charte canadienne », nous explique celui qui défendra le Québec à la Cour Suprême au printemps.

Depuis 1982, la jurisprudence de la Cour Suprême donne au gouvernement fédéral une autorité prééminente sur l’interprétation des droits, hiérarchisant les chartes canadienne (1982) sur la charte québécoise (1975) menaçant ainsi la capacité du Québec à préserver ses valeurs et son traditionnalisme civiliste.

Un conflit sur les traditions juridiques : droit civil vs droit commun

Le Québec et le Canada suivent des traditions juridiques distinctes, ce qui rend difficile l’unification de leurs conceptions du vivre-ensemble. Le Québec est fondé sur le droit civil, qui met l’accent sur l’équilibre entre les droits individuels et collectifs, alors que le droit commun (ou common law) préconise une plus grande liberté individuelle, sans nécessairement prendre en compte l’impact collectif.

Nous ne pouvons donc pas comprendre et accepter la laïcité si nous la regardons par le filtre de la tradition juridique du Canada. Si aucune tradition n’est plus vertueuse que l’autre, beaucoup de pression est mise sur la société québécoise pour la culpabiliser dans sa manière de faire société.

Plus que jamais nous assistons à un choc des modèles. La liberté civiliste québécoise ne s’exprime pas dans le vide, à savoir que l’individu vit AU SEIN de sa société. La croyance est sacrée et appartient à l’individu, la pratique est une simple manière de se comporter liée au libre-arbitre et présuppose un choix personnel donc pas d’obligation.

Au contraire, le droit coutumier soustrait l’individu de ce qui peut déplaire à son « je » sans égard pour l’intérêt collectif. Il fusionne croyance et pratique religieuse donnant ainsi l’impression qu’une personne attachée à sa pratique se sent contrainte de se soumettre à des comportements en soi non obligatoires.

L’impact de la contestation fédérale sur le Québec

 » Les canons de la fédération, dont le procureur général et les instances fédérales, ne sont plus d’accord que le Québec représente sa capacité d’être en désaccord avec la jurisprudence dominante de la Cour Suprême » poursuit Me François Côté. Mais ce précédent touchera toutes les provinces qui voudraient utiliser le recours à la souveraineté parlementaire pour parler de leur propre voix. C’est pourquoi le Québec a plusieurs provinces amies pour s’opposer à cette centralisation du gouvernement fédéral : l’Ontario, la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan.

Les juges de la Cour Suprême du Canada ont l’habitude de donner la supériorité à l’interprétation au droit coutumier. Aujourd’hui, s’ils niaient la souveraineté parlementaire « au profit d’une vision centralisée qui détourne l’approche constitutionnelle par rapport à son texte et à son esprit » affirme Me Côté sans aucunement le prédire, cela reviendrait à refuser la tradition juridique du Québec, pourtant reconnue depuis l’Acte de Québec en 1774. Ce refus risquerait de faire éclater une crise constitutionnelle.

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