Que vaut la souveraineté dans l’écosystème numérique ?
Par Sylvie Bergeron, PDG de Connexion-U pour la protection de l’être humain et de la démocratie dans le contexte numérique
À l’aube d’une victoire possible du parti québécois (PQ), le projet d’un pays Québec renaitrait de ses cendres. Dans ce sondage Léger, le PQ contient 72% de votes souverainistes et 24% contre. Il reste à conquérir encore 32% de souverainistes à la CAQ.
Ce qui rend opportun de poser ces questions : aujourd’hui, que valent les souverainetés aux prises avec des multinationales numériques dont les revenus équivalent au PIB de certains pays et dont les outils de contrôle fascinent ? Est-ce que la CAQ a toujours notre confiance alors que ses ministres ne se portent plus garants des outils démocratiques qui assurent notre souveraineté nationale ?
La transparence de l’État est le fondement d’une société démocratique. La Commission d’accès à l’information (CAI) et les médias éthiques sont des contre-pouvoirs garantissant la transparence requise pour entretenir la confiance entre élus et citoyens.
Dans le contexte numérique, ces contre-pouvoirs parviennent-ils encore à protéger nos droits et libertés ? Si non, que vaut la souveraineté ?
Mise à mal de nos outils démocratiques
À l’évidence, les médias et la CAI sont mis à mal par l’écosystème numérique. Nous avons tous constaté que le bras de fer entre Google, Meta et le gouvernement canadien conduit à l’affaiblissement des médias nationaux et régionaux au pays. Être informés constitue pourtant les fondements de la démocratie pour que les citoyens prennent de décisions éclairées et libres. Les médias peuvent-ils encore offrir toute l’information juste et nécessaire ?
Ce fondement démocratique est d’autant plus important dans le cadre du projet de portefeuille d’identité numérique (PIN), réalisé dans la précipitation et l’opacité.
En effet, le ministre de la cybersécurité et du numérique, Éric Caire, a réussi à court-circuiter le pouvoir de la CAI. Depuis, l’adoption du projet de loi n° 38, le 5 décembre 2023, elle n’a plus autorité d’intervenir de façon préventive avant la réalisation des projets à portée gouvernementale concernant le PIN, un grave bris démocratique.
Pour s’adapter à l’écosystème numérique, le gouvernement de la CAQ a non seulement modifié plusieurs lois, mais il a créé une confusion entre la sécurité du système informatique et le respect des exigences légales de la protection des renseignements personnels (PRP). Il a misé sur la cybersécurité, sans offrir de garanties concrètes que le PIN sera réalisé en conformité à la Loi sur l’accès.
La sécurité informatique relève de technologies de pointe capables de contrer fraudes, piratage, rançons. Tout informaticien sait que cet écosystème est fragile et nombreux ont déserté le projet du PIN.
La PRP dans le PIN était à ce jour garantie par le caractère prépondérant de la Loi sur l’accès à toutes les lois du Québec et la capacité juridique de la CAI d’intervenir de façon préventive.
Avec le projet de loi n° 38 et d’autres lois où la PRP est gérée par décret, le ministre Caire a fait en sorte que la CAI ne devra plus approuver au préalable les règles de gouvernance des sources officielles de données, dont le Registre gouvernemental d’identité numérique de chaque québécois.
La Loi sur l’accès et la PRP garantissent le principe fondamental de l’autonomie de la personne à l’égard des renseignements qui la concernent. Si des élus commettent l’indécence d’outrepasser une loi aussi prépondérante ou restent muets, sur quoi les citoyens peuvent-ils compter pour défendre leur vie libre et autonome ?
L’État peut-il être souverain si ses citoyens ne le sont pas ?
Oui. La Chine l’est ! Mais dans une société numérique où le consentement s’extorque, où l’autonomie de la personne est réduite par une centralisation des données personnelles tel le Registre d’identité numérique, quelles libertés peut encore offrir une souveraineté démocratique ?
Omettant de protéger les renseignements personnels dans le PIN, se créant des lois sur mesure pour garantir et gérer par décret le respect des droits fondamentaux, la CAQ rend caduque la démocratie.
Comment le PQ ou QS pourront-ils présenter un projet de souveraineté du Québec, après que le gouvernement de la CAQ aura sapé les droits individuels concernant notre souveraineté sur notre identité numérique ?
Le PIN pose les plus grands enjeux et risques d’atteinte sur nos droits et libertés. Si le gouvernement n’a plus à respecter les recommandations de la CAI à ce titre, comment le PQ s’y prendra-t-il pour soutenir un État souverain, sans fournir la garantie du respect de la Loi sur l’accès qui découle de la Charte des droits et libertés ?
Le droit n’a pas vocation à prévenir. Il est toujours dépassé. Et c’est bien de prévention dont nous avons le plus besoin au regard de la protection de nos renseignements personnels.
Dans ce processus de dématérialisation de nos souverainetés, comment le juridique peut-il trouver une prise pour défendre les fondamentaux des droits et libertés, si le mal est déjà fait, que les renseignements personnels sont déjà cueillis, centralisés, de surcroit très convoités par l’état et les entreprises ?
Lors de la campagne provinciale de 2022, Connexion-U avait alerté et demandé à tous les candidats de s’assurer de protéger la CAI. Redonner du budget et son pouvoir préventif à notre chien de garde serait le minimum.
Le projet du PIN éminemment politique
Par l’écosystème numérique, les élus érodent la société de droit, sous le prétexte d’en faciliter l’administration. En découle une nouvelle forme de centralisation, techno-féodale, portée aux mains de multinationales, d’institutions bancaires et de gouvernements qui jamais n’ont pu rêver d’outils aussi performants de contrôle, de profilage, de traçage et de surveillance.
Avons-nous eu un référendum sur un pays virtuel ? Non. Mais tous les jours nous consentons à des politiques de magasin qui nous entrainent dans ce nouveau contrat social numérique à sens unique. Tous les jours nous votons pour ce pays chimère.
Au cours des trois dernières années, Connexion-U a analysé et démontré les dérives du gouvernement et des institutions bancaires. Maintenant que le ministre Caire a écarté notre garde-fou, il pourra faire à sa guise avec nos renseignements personnels dans le cadre du projet du PIN.
Ce projet est éminemment politique. Tous les partis devraient conscientiser que l’un de nos outils démocratiques, la CAI, a été amputé de son pouvoir préventif dans le PIN. Le PQ devra penser à créer un État souverain réintégrant la protection de la vie privée, de la liberté et de l’autonomie individuelle dorénavant liée au portefeuille d’identité numérique.
Un pays souverain démocratique a besoin d’un chien de garde puissant pour assurer que notre consentement reste libre et éclairé. Si les citoyens sont « obligés » de consentir à être tracés en échange de services essentiels et de renoncer à leur souveraineté sur leurs données sensibles, à quoi bon devenir un pays ?